Après cinq mois d’investigation, le département Recherches & Etudes de l’Agence de Notation Nationale, PBR Rating, a rendu son rapport d’évaluation sur l’état et les perspectives du secteur de la promotion immobilière en Tunisie.
A travers une revue du cadre juridique et opérationnel du secteur, une analyse de la situation financière d’un échantillon d’acteurs de la profession, un diagnostic des facteurs structurels de l’activité et un ensemble d’entretiens réalisés avec les professionnels et les institutionnels du secteur, PBR Rating livre son appréciation sur l’état de la promotion immobilière en Tunisie, avec une analyse de causes, des enjeux et des risques systémiques de l’activité. Dans une note sectorielle publiée début février, l’Agence PBR dresse le bilan d’un secteur en difficulté, dont les perspectives sont loin d’être réjouissantes.
Un marché fortement limité par la rareté des terrains
L’une des principales problématiques face à laquelle la Promotion Immobilière Privée (PIP) doit s’organiser, est le renchérissement du foncier (dont l’indice général des prix a été multiplié par 3.2, sur les 20 dernières années) qui découle notamment d’une pénurie de terrains constructibles dans les grandes agglomérations urbaines.
La réponse à ce problème structurel est exclusivement entre les mains des pouvoirs publics qui doivent renforcer l’offre de terrains. Le devenir de l’AFH doit faire l’objet d’une réflexion stratégique et d’ajustements structurels par : le renforcement de ses moyens pour augmenter une offre qui est insuffisante, la mutation vers une fonction de » grossiste » en aménagement (le lotissement de détail pouvant être assuré par d’autres acteurs), le guichet unique pour les procédures de lotissement, etc… d’autres pistes de réflexion existent.
De même, les pouvoirs publics doivent améliorer la réactivité et la périodicité de révision des plans d’aménagement urbain (PAU), pour répondre aux besoins du marché et permettre un développement urbain viable et maitrisé. L’offre de nouveaux terrains doit être renforcée pour permettre au secteur formel de tenir un rôle plus important sur le marché du logement.
Un marché en déstructuration
Les transactions sur les terrains à bâtir constituent l’essentiel des échanges déclarés sur le marché de l’immobilier (plus de 75%). Les professionnels PIP sont de moins en moins présents dans ce volume de transactions, comme l’attestent les réalisations récentes des PIP cotées : aucune acquisition de terrains sur les 3 dernières années. Les investisseurs professionnels, rationnels, assujettis à la fiscalité, pourvoyeur d’emplois et créateurs de valeur, désertent ce marché souvent au bénéfice d’investisseurs spéculatifs.
L’immobilier à caractère social est quasiment à l’arrêt avec 700 logements produits par an (secteur public et privé confondus), alors que l’essentiel de la demande se situe sur ce segment.
La révision des mécanismes d’aide à l’accès au logement, promus par les pouvoirs publics doit être opérée. Des dispositifs importants existent, à l’image du FOPROLOS depuis 1977 ou plus récemment du programme » Premier logement » (2017), mais leur efficacité est limitée par des contraintes inadaptées et peu réactives à l’évolution du marché. Alors que d’importants moyens financiers sont disponibles, ils sont inutilisés du fait de l’inadaptation des procédures mises en place. Un diagnostic aboutissant à une révision de ces mécanismes serait opportun, en imposant une obligation de résultat et des objectifs contraignants à ce type de dispositifs indispensables.
Le secteur formel de la promotion immobilière a également subi une pression fiscale additionnelle dans un contexte déjà difficile.
Un marché déréglé par les pressions inflationnistes
Que le secteur soit mis à contribution, à l’image de l’ensemble des opérateurs économiques ces dernières années, est justifiable ; toutefois une étude d’impact sur les deux premières années d’application de la TVA (13% en 2018, devant théoriquement passer à 19% sur les prochains exercices) permettrait d’évaluer l’efficacité de cette nouvelle fiscalité et de l’optimiser.
Les PIP sont parmi les secteurs les plus engagés auprès du secteur bancaire (11% du total des engagements bancaires tunisiens). Le taux d’impayés et de crédits en contentieux du secteur est supérieur à la moyenne (16% en 2018) et les perspectives du marché, quasiment à l’arrêt (8000 logements construits en 2019), peuvent inquiéter quant à l’évolution du risque de contrepartie qu’ils représentent pour le secteur bancaire.
La hausse de 350 points de base du taux directeur, survenue depuis 2017 (7.75% en 2019), a fortement perturbé un marché très dépendant du levier financier aussi bien du côté des promoteurs que des acheteurs. La demande de la profession de bénéficier d’un taux » préférentiel » n’a, pour l’heure, pas trouvé d’écho favorable. Si la crise du secteur s’intensifie, le secteur bancaire sera un acteur important (et déjà impliqué) dans le « sauvetage » d’une filière d’ores et déjà mal en point.
Le coût de la construction a subi plusieurs autres facteurs inflationnistes : matériaux de construction (dont les prix ont notamment augmenté respectivement, de +84.5%, 82.9% et 34.3%, pour les « produits rouges », le ciment et le céramique, sur la période 2010-2020), coût de la main d’œuvre, droits d’enregistrement, taux de changes, entre autres, sont venus s’ajouter à la hausse des prix des terrains, à la pression fiscale accrue et à l’augmentation des taux d’intérêts; faisant plus que doubler les couts d’acquisition depuis 2010. Ainsi, le nombre de transactions réalisées auprès des PIP n’a cessé de se réduire au profit de l’informel.
La rentabilité des PIP n’a cessé de se détériorer sur les 5 dernières années. Les opérateurs les plus solides ont une surface financière suffisante pour continuer à produire de faibles volumes de production, pour un temps limité.
Le secteur PIP est composé d’une multitude d’acteurs inopérants : le nombre moyen de logements construits par opérateur agréé sur les 5 dernières années est inférieur à 3 logements par an et par PIP. La cadre réglementaire qui régit ce métier doit être adapté pour s’orienter vers davantage de professionnalisme et de technicité. Dans cette optique, la révision à la hausse des conditions d’obtention de l’agrément, à commencer par le ticket d’entrée (capital minimum de 150 mille dinars) semble nécessaire, mais loin d’être suffisante.